LA « CLOCHARDE »
Je n'oublierai jamais cette rencontre qui a vraiment eu lieu
et que je retrace ici telle que je l'ai vécue le soir d'un...
Un 24 décembre, il allait faire nuit.
Les lumières de la ville venaient de s’allumer.
« Elle » était postée là, en haut de l’escalier,
A l'entrée du parking où je m'étais garée
Afin de retirer à un distributeur
Les billets nécessaires à l’achat de mes fleurs.
En arrivant près d’elle, je cherche dans ma poche
Un reste de monnaie qui viendra s’ajouter
Au tout petit pécule qu’elle a dû récolter.
J’ai brusquement senti la honte m’envahir
Et la modeste obole que je voulais lui tendre
S’est transformée soudain en un baiser très tendre.
Je l'ai serrée très fort et nous avons pleuré,
Elle sur sa misère, et moi, d’être « nantie ».
Et c’est sur cette étreinte que je suis repartie.
- « Elle a dû être belle ! » me disais-je en chemin.
Je ne comprenais pas que la vie puisse un jour,
A certains plus qu’à d’autres, jouer ce mauvais tour.
Je me suis arrêtée dans une épicerie,
Lui ai confectionné un beau panier garni
Afin que cette Nuit pour elle, soit plus Douce.
Je n’ai rien oublié, de l’entrée au dessert,
Avec de quoi pinter pas mal de « petits verres »
Capables de réchauffer, pour quelques temps, son corps.
Puis je suis revenue, elle était toujours là.
Nous avons bavardé, de ses joies, de ses peines,
De l’alcool qui s’est mis à couler dans ses veines.
Tristement, elle m’a dit qu’elle avait une fille
Quelque part dans le Nord, placée dans une famille
Et qu’elle ne verrait pas cette nuit de Noël.
Mais j'ai dû la laisser car on allait m’attendre.
Encore une embrassade qui aura bien surpris
Des passants étonnés, à l’air plus qu'ébahi.
Et c'est en repartant que je l'ai vu surgir
Ce grand gaillard crasseux qui s’est jeté sur elle
Afin de lui piquer sa petite escarcelle.
Je m'en souviens encore comme si c'était hier
Je l'entends lui crier quatre phrases ordurières
Que je traduis ici par des mots moins grossiers.
- « C’était quoi ce manège ? C'est qui cette gonzesse ?
Y a quoi dans ce carton ? J’ vais te botter les fesses ! »
Elle lui tend le paquet que je lui ai remis,
Et d’une voix craintive, tel un être soumis
Prononce lentement : - « Mais c’était ma marraine ! »
Ai-je été à ses yeux la bonne fée d'un soir ?
Cette petite phrase résonne encore en moi
Trente six années après une nuit de Noël.